Contributions : la parole est à vous !

Rubrique dédiée aux écrits des gens du village ou de ses amis!

Souvenirs d’une première rentrée scolaire par notre ami Kamel Ouidir (Canada)

Ecole aghbala

Un jour du mois de septembre 1977, ce jour m’a marqué d’une façon indélébile. C’était ma première rentrée scolaire.

J’avais atteint  l’âge de six ans,  j’avais encore le goût de m’amuser et de m’occuper de mes petites bêtes. Malheureusement une force avait décidé à mon insu de mettre un terme  à ma « grande récréation »  au grand dam de mon innocence: La force de l’école.

Désormais j’aurais juste le droit  à des petites récréations intermittentes. 

Ce jour j’avais l’impression d’être arraché des bras d’une certaine vie non balisée, pour aller me faire inculquer une discipline difficilement adaptable à mon cas. 

J’étais trop habitué à la liberté que  procurent les champs, les terrains de jeux et les placettes du village, qui étaient d’une connivence certaine avec mes plaisirs et mes loisirs.

J’ai eu  peur quand ma mère me préparait ce matin-là, je savais que ce n’était pas une journée comme toutes les autres, notamment avec mes nouveaux vêtements et un cartable à la main, un changement brusque!!

Mes parents qui n’ont jamais fréquenté l’école, m’ont confié à un oncle pour m’accompagner juste pour cette première journée que je redoutais tant. Il s’agit de Dda Messaoud Aheddad, celui-ci   fait partie de la vieille garde de  personnes instruites au village, au côté de mon grand-père maternel  immigré en France  et qui était un éminent instituteur du temps de la colonisation.

Dda Messaoud, un homme d’une grande taille avec une barbe grisonnée, aime toujours porter un « cache poussière » bleu, sa voix d’une douceur  qui dégage une certaine assurance , me convenait parfaitement.

Il me tient la main jusqu’à la porte de l’école, il m’abandonna  à la face interne de celle-ci,  » le torrent m’emporta », je me suis mêlé à la foule et son brouhaha dans une cours trop exiguë.

C’était du néant pour moi,  j’avais l’aire d’un laissé-pour- compte. Il fallait que je me débrouille pour ne pas me mettre en marge et surtout pour ne pas me perdre, puisque toutes les classes sont réunies dans la même cours et en même temps pour  répondre à l’appel. 

Pendant que Les instituteurs faisaient l’appel, je  répétais sans cesse et à  voix basse le mot « présent » que j’ai puisé à travers la réponse des anciens élèves, mon tour arriva et ma réplique était sans appel: un « présent » vif et audible, ouf un soulagement. Tout au long de la journée j’étais envahi par un sentiment de fierté qui m’a laissé sur une vague d’euphorie me faisant croire que ma mission était accomplie et la suite de la journée ne me concerne plus. Comme si je suis venu juste pour prononcer ce mot magique « présent » sans l’aide de personne. C’était ma première réussite!!! 

Le moment de faire les rangs  arriva,  nous nous mettions en lignes droites pour rejoindre les classes de cette école, que j’ai toujours regardé de l’extérieur avec une vive admiration et surtout beaucoup de questionnements. 

L’école du village, un héritage du colonialisme français, n’a subie aucun changement ni rénovation, une ancienne construction métallique,  autant pour ses fenêtres et volets que pour ses murs en doubles cloisons, séparées avec de la laine de verre. Ceux et celles qui sont passés par là ont laissé des traces: pleins d’endroits troués par curiosité pour découvrir la nature de cette matière qui nous fait rappeler la laine de mouton utilisée dans le métier à tisser ! 

En contact avec la peau elle provoque des démangeaisons, les plus méchants des élèves soustraient des petits bouts de la matière pour la frotter sur le cou de leurs camarades et provoquer  ensuite une scène d’humiliation.

Plus tard on nous parla d’une matière  dangereuse.

Les tables sont faites pour  deux élèves, l’un à côté de l’autre. Les deux places sont faites en bois, séparées par  deux tubes métalliques sur lesquels est posé le morceau de bois comme pupitre.

Les classes étaient  tellement surchargées que les enseignants se trouvaient dans l’obligation d’utiliser les deux tubes métalliques au milieu qui formaient l’ossature des pupitres comme place supplémentaire, souvent j’alternais  avec un camarade,  quant à la troisième est une fille qui faisait la sourde oreille pour mes fréquentes requêtes.

Ecole aghbala aujourdhui

La cantine était gratuite, nos repas complets,  servit avec promptitude  par Dda Smail et Si El Djoudi, deux personnes auxquels nous associons souvent leurs nom à cette même cantine, Beaucoup de discipline régnait autour des tables sous le regard bienveillant de nos enseignants.

Chaque matin on nous préparait du lait,  souvent c’est Dda Smail qui accomplissait  cette tâche puisqu’il demeure pas loin de l’école, c’était l’un des moments les plus enjolivant. Nous attendions son appel semblable à celui du  muezzin de la mosquée où ses fidèles sont toujours à l’heure. 

Cette école  nous a couvé pendant six ans, c’est  ici que nous avions eu nos premières bases éducatives, des années qui se sont terminées  par une espèce de sésame pour accéder à l’école de la prochaine étape

Et par ricochet quitter le village pour d’autres cieux,  mais toute la suite est une autre manche.

Kamel Ouidir

2eme contribution de notre ami Kamel OUIDIR (Canada)

 L'olivier 

Nés de familles toutes ordinaires, les unes comme les autres, aucun signe de distinction entre elles quasiment. Le mot classe n’avait point le droit d’être cité, on aurait dit que le communisme avait pris naissance au pied de ces montagnes !  Hormis le propriétaire de l’épicerie du village, en possédant un camion pour faire ses approvisionnements ; il est considéré comme la personne la plus aisée sur notre planète. Sinon le reste des têtes se nourrissent du fruit de leur labeur, le vrai par contre. Car tout ce que possède un villageois n’est autre que ses morceaux de terres suspendus sur des reliefs accidentés qui ne facilitent nullement la tâche pour les œuvrer aux quatre saisons. Néanmoins le bonheur était souvent à son apogée dans le tréfonds de ces humbles habitants. En étant enfant, les parents nous initient dès notre jeune âge à s’accoutumer avec des besognes qu’un enfant de la ville regarderait en travaux d’hercule ! Du pâturage, à la moisson en passant par la cueillette des olives et figues sèches, sans omettre l’attente du tour d’irrigation des jardins qui pouvait par moments se tenir en plein milieu de la nuit ….etc.

L’activité qui dégage un peu plus qu’une sensation d’euphorie, était la cueillette des olives, la seule période de l’année qui fût notre stimulateur pour les mois restants. Car posséder l’argent de poche n’est pas chose que nous avons tous les jours et ce n’est pas une banale affaire aussi. Il s’agit du fait que nous avions au même temps le droit et le pouvoir de s’accaparer les olives restantes, éparpillées dans des endroits très difficiles d’accès pour que les adultes aient la volonté de les ramasser pour les vendre par la suite : c’est le glanage (Ahawac) une fois la journée de cueillette officielle aurait pris fin. Ces olives nous les vendons aux quelques familles qui n’ont à leur possession aucun arbre et qui se tournent vers cette façon d’acquérir leur part de cet inestimable aliment.  Nos paniers sont à l’œuvre juste après le coup de sifflet final de notre journée, nous le faisions en toute liberté, tout en mettant abstraction aux balises qui pourraient être érigées entre les propriétés des uns et des autres. Une fois nos paniers remplis, c’est la course vers les acheteurs pour empocher la somme espérée.

Nous partagions pendant une longue période des oliviers avec d’autres familles, pas nécessairement proches, c’est une pratique résultant d’un système de partage complexe entre familles kabyles, on lui donne le nom : (Azemmur ucrik) ou les oliviers associés !  À chaque fois que le temps de la récolte arrive ça leur faisait tout une gymnastique pour réunir tout ce beau monde et pour aussi tomber unanimement sur une journée afin d’assurer la présence de tous les bras.

Ce rassemblement en vue me procurait une excitation palpable déjà la veille, d’une part je rencontrerai mes semblables même si nous n’aurions pas assez de temps à consacrer à notre activité préférée à savoir les pièges aux oiseaux, d’une autre part pour finir notre journée avec un petit pactole garanti.  Le lendemain nous formions une caravane qui prenait chemin vers les champs d’oliviers avec joie et entrain, les hommes avec des gaules et des haches derrière le dos tels des vikings revenus d’une facile victoire.   

Ces derniers s’affairaient à faire tomber les olives, les femmes et les enfants, paniers à la main pour les ramasser.   Dès notre arrivée sur les lieux surtout en temps de froid nous procédions d’emblée à allumer un feu pour se réchauffer, surtout pour les doigts qui ramassent et qui sont tout le temps en contact d’une terre souvent menaçante de givre ! !!……

Ta3mrouchth" un nom qu'on donnait affectueusement à la tante à mon père, de son vrai nom Taous ou Amrouche, une vieille qui à chaque année sa présence pour la récolte des olives est inéluctable, c'est elle la meneuse de la troupe mais d'une discrétion efficace. Elle n'utilise jamais de canne pour marcher en dépit de son âge, elle force le respect par son regard espiègle, même avec une cataracte à l’œil ; son sourire est très éloquent pour ne pas hésiter à lui faire entièrement confiance. C'est elle qui égayait nos soirées hivernales, avec ses contes fantastiques. (Je consacrerai à elle seule tout un chapitre au moment opportun) Elle savait comment injecter de l'enthousiasme à notre journée, elle connaissait parfaitement le bonheur que nous procurait cette cueillette, son procédé est très simple ; elle trouve toujours le moyen de nous refiler un panier plein d'olives dans le tas, tantôt pour moi tantôt pour un autre. Ce panier on le dissimule soigneusement et on le cache quelque part loin des soupçons, pour le déterrer en toute quiétude en fin de journée, une fois les champs libérés des adultes, comme un véritable trésor enfoui des siècles auparavant, on n’aura même pas besoin de faire recours au glanage habituel pour atteindre notre objectif de fin de journée ! ça ressemble un peu à du gain facile !!! Mais Dieu seul sait à quoi est tenu le bonheur en ce bas monde !!! 

Les moments les plus agréables dans une telle occasion, furent les repas, surtout celui à midi, il n'a rien à envier au pique- nique en pleine nature et par-dessus tout le partage était tout le temps de mise. Nous regardions souvent avec un œil assez guetteur ce qui s'étalerait sur la nappe de tout un chacun !!! Tout en chassant les différentes bibittes qui s'y invitent. Prendre ses repas aux cotés de toute la communauté ne fait que rajouter un grain de saveur à celui de la nourriture présente : les piments écrasés imbibés à l'huile d'olive que nous accompagnions souvent avec une galette d'orge, du poisson préparé tout frais le matin même et cuit en forme de petites mains. De la sardine généralement achetée à l'aube. Ces aliments sont les plus convoités pour ce genre d'occasion. L'envie de goûter à tout et en même temps, rien ne le sépare du comportement d'un prisonnier libéré affamé. 

Parfois des chicanes se déclenchaient au moment du partage de la récolte, pour une once de plus ou de moins la guerre des mots s'installe et nous assistons impuissants devant un tel état car la peur de voir la situation s'envenime nous traumatisait et nous inquiétait au plus haut point surtout de peur que le lendemain personne ne parlera à personne et Ta3mroucht n'aura plus l'audace de nous gâter avec un panier bien plein. 

La "monticule" d'olives amassée est mise en attente dans un coin de la cour de notre maison jusqu'à temps de la transférer à la presse la plus proche, cela se passe habituellement à tour de rôles. Nos incursions étaient récurrentes tout au long de la journée à l’intérieur de cette presse sous prétexte d'aider en conduisant le pauvre mulet qui sans cesse fait tourner la meule "Agharef". J’avais le privilège d'avoir accès à cette dernière presque à tous les moments de la journée grâce à mon oncle qui tenait les rênes de ce procédé en association avec le propriétaire de celle-ci. Mon oncle un homme taciturne, et d'une organisation sans faille, il n'aime pas trop cet encombrement que suscitait le foisonnement des petits en attente de faire le tour avec l'animal et par ricochet de sauter sur la première goûte de l'huile qui ferait son apparition, d'ailleurs il traitait souvent les plus bruant de "tati vatata", il "s'auto-nomme" khalis mohand vu les supplications énervantes de ses petits morveux de neveux dont j'étais le premier. Il porte un tablier en cuir ressemblant à celui d'un chef cuisinier mais crasseux à force de son frottement avec les murs du moulin. En fait cette opération, consiste à écraser la matière première (olives) pour pouvoir la mettre par la suite dans des sacs adéquats et les presser afin d'obtenir le fameux "or jaune" l'huile d'olive. Mes poches pleines de figues séchées et de morceaux de galette berbère chauds, je continuais à faire les tours derrière la pauvre bête muette qui ne savait prononcer le mot lassitude, tout en scrutant soigneusement le moment des premières gouttes pour sortir de la poche mes petites gâteries pour les imbiber de l'huile à la source et me délectais sous le regard complice de khalis mohand qui me balance avec amusement et avec son accent légendaire : "et ban oui!!!"......

Kamel Ouidir

Ceuillette des olives

Lamaasra

3ème contribution de Kamel

Le Rêve

Le printemps de l’année 1990, avait montré un visage en dehors de l’ordinaire, très tôt il a badigeonné les champs d’Aghbala d’un foisonnement de couleurs d’une beauté fulgurante, rendant son paysage pittoresque, une vue que seul l’été dans toute sa magie nous laisse découvrir. Ainsi est confortée la pensée des passants et des visiteurs qui n’ont jamais cessé de nommer ce village » le paradis sur terre » ils le disent avec raison.

Ce n’est que pure folie d’en attester le contraire, l’entrée du village à elle seule ensorcèle. Le rythme inébranlable d’une eau qui coule tranquillement à partir de sa source portant le nom du Saint protecteur Sidi El Mouhoub, que les gens prononcent avec fierté. Une eau qui se déverse abondamment, non pas pour se perdre nulle part mais qui sert à maintenir la vivacité de ce paradis, en irriguant ses arbres fruitiers et ses jardins qui se trouvent tout au long d’un relief accidenté sur le flanc gauche du village que chapeaute le Saint sidi el mouhoub. 

En dehors de ce cadre enchanteur créé par la nature et les gens du village, les autorités n’ont jamais apporté bien malheureusement, ne serait-ce qu’une petite touche pour permettre aux jeunes de connaître ce que signifie le mot épanouissement, cet état des faits pousse ces derniers à vivre dans l’imaginaire. En tout cas c’est le sort de presque tous les villageois.

L’année scolaire s’achève dans deux mois et demi et ce climat agréable, le moins que l’on puisse dire est propice pour en profiter dans les fins de semaines. Surtout pour un étudiant qui vit loin des siens comme ce fût le cas de Tahar.

À peine arrivé à la maison le jeudi après-midi après une semaine à l’internat de son école, prend une bouchée et s’empresse avec ardeur de rejoindre son meilleur ami : Akli. 

Les deux assis sur une dalle de béton, improvisée par les ouvriers de la commune comme un banc jouxtant l’abri d’autobus, qu’ils ont construit sur la bordure de la route qui déchire le village. À leur départ ces derniers ont omis de démolir le banc, désormais il fera office de place aux petites réunions entre gens.

Tahar avait les yeux fixés sur une fourmi qui transporte une autre fourmi accrochée à son mandibule. Son ami Akli lui parlait de tout et de rien, comme à l’accoutumée, en lui faisant la synthèse de toute une semaine durant laquelle ils ne se sont pas vus. Akli est un peu plus âgé que son ami étudiant, il tient l’épicerie familiale au sein du même village qui les a vu naître, depuis qu’il a déserté les bancs de l’école c’est la seule fonction qui lui revient de droit. Il est du genre à être à l’affût de toute information, un lecteur assidu de la presse nationale, en somme la gazette du village.

Tahar  ne prêtait aucune attention à ce que raconte son ami, ses pensées ont pris l’allure d’une virée sur le tapis d’Aladin, il était distrait, il s’interroge sur ce phénomène qui a bien diverti ses yeux,  la fourmi qui porte sa sœur!!!Certainement pour l’aider pensa-t-il au fond de lui.

Cette scène l’a fasciné au plus haut degré,  il voulait en tirer une leçon ou faire un lien avec son rêve! Oui un rêve, car il en a un, comme tout jeune de son âge, mais qu’il gardait jalousement dans sa petite conscience. Pour lui, c’est une entreprise hasardeuse faute de pécules qui lui faisaient défaut et les conséquences désastreuses qui en découleraient si toutefois ce rêve ne se réaliserait point.

Ah si je trouve quelqu’un qui porterait mon projet à cœur comme le fait cette petite fourmi !! Se disait-il…

– Enfin tu reviens sur terre lui dit sagement Akli.
– A quoi songe-tu mon ami ? à la Nasa!  Lui rajouta d’un ton sarcastique.

-Non pas si gros que ça, lui répliqua Tahar avec un sourire timide.

Après un moment de silence et avec un peu de gêne, il enchaîne :
– je voudrais voyager cet été
– Où comptes-tu aller, cher ami ? renchérit Akli
– En France répond Tahar. 

Cette idée est on ne peut plus ancrée dans sa tête depuis un certain temps, elle a pris une dimension démesurée et elle a squatté une bonne partie de son espace de réflexion.    

Il est jeune à peine foulé les 19 ans, n’ayant connu en dehors de son village que les contrées avoisinantes. Depuis qu’il a découvert la ville où il se rendait à l’école secondaire, il ne cesse de penser à amplifier ou à rajouter à son actif d’autres découvertes.

Il savait que St Etienne en France pouvait être son port d’attache. Son père y a déjà travaillé, une bonne partie de sa famille y réside, sa tante lui faisait à chaque fois la promesse de lui fournir un certificat d’hébergement pour obtenir un visa. À ses yeux les portes lui seront grande ouvertes pour aller de l’avant.

Le retour chaque été en vacances des immigrés et leurs discussions suscitent en lui moultes curiosités, à chaque fois son imagination prend son envol, à tel enseigne qu’il se voit en train de se promener sur certains lieux de cette ville.
qu’il avait pu imaginer au travers des discussions qu’échangeaient ses « concitoyens temporaires » venus juste passer les vacances. Tantôt  il se voyait sur  la place de l’hôtel de ville, en regardant les oiseaux autours des jets d’eau, tantôt une halte sur la place du peuple où les vieux formaient leurs petites réunions, le musée qu’est devenue la mine Couriot où son père avait bûché une bonne partie de sa vie,  monter le tramway jusqu’à la gare Châteaucreux puis  siroter une boisson sur une terrasse des rues du centre-ville à son retour, pourquoi pas, la cerise sur le gâteau « une compagnie galante » pour combler son imagination, les délires ne manquant point dans sa tête!

Un de ses amis  lui a presque esquissé une cartographie des points clés du centre ville: le centre deux et les autres grandes surfaces, le marché hebdomadaire Jacquard,  les piscines qu’il ne connaissait que du nom !!

S’il pouvait accéder au stade Stade Geoffroy-Guichard ça serait le comble de son bonheur.
Il ne cesse de cogiter sur un fond d’espoir qu’un jour ces endroits puissent le forger dans de petites expériences autres que ce que pouvait lui offrir son village durant cette saison estivale, ne serait-ce que l’ennui. 

Sa détermination va crescendo au fur et à mesure que l’année scolaire avance. L’expression « les voyages forment la jeunesse » que son professeur de français ne cesse de répéter à qui veut l’entendre à chaque occasion l’inspire beaucoup. Il en a fait son leitmotiv.

Plusieurs fois quand il se rend à Vgayeth durant ses sorties autorisées de l’internat, il se dirige droit sur la place guidon face au port. Il prend place les mains posées sur la rampe métallique de la grande terrasse, il demeurera cloué des heures durant à regarder ses semblables s’en aller outre cette grande mer bleue. 

Si pour beaucoup de monde les effluves des mets culinaires leur donnaient de l’eau dans la bouche, lui par contre ce qui motiverait ses désirs, c’est bien de mettre les pieds dans ce paquebot accosté là sous ses yeux illuminés.

Son ami lui posa une question pertinente.
– As-tu amassé des sous pour ce voyage ? tu sais bien que l’argent est une condition sine qua non pour que ton vœu soit exaucé.

Comment y parvenir ?  Lui qui ne possède même pas une pièce dans sa tirelire voire même pas de tirelire !! C’est une épineuse tâche. C’est pour cette raison qu’il a fait de son rêve un secret .

Bien que sa situation n’est pas flamboyante mais il est déterminé à ne pas sombrer dans un pessimisme excessif,  il évoqua  son père qui pouvait bien détenir la clé de son problème faute de ne pas dénicher un petit boulot.

son père depuis sa retraite et son retour au « bercail » ne fait que travailler ses terres, longtemps abandonnées et surtout pour boucher le creux qu’aurait laissé son faible revenu de chaque fin du mois, car la pension qu’il percevait n’était pas suffisamment ronde. Il est exigeant, il rejette toute forme de gaspillage, il déteste être sollicité pour des dépenses inutiles, il a fait de la comptabilité son crédo.

Le plan de Tahar, était axé sur l’avis que son père pouvait donner, mais avec un peu de réserve, connaissant les réactions parfois désobligeantes de ce dernier. En raison de cela sa mère lui avait fabriqué le sobriquet de « le vieux grincheux ».  Néanmoins il garde une bonne petite dose d’espoir que son père puisse assimiler sa requête.

Il a jeté tout son dévolu sur sa mère afin de l’aider à régler ce volet. Son seul argument était ses bons résultats à l’école et sa conduite exemplaire.
Elle va surement plaider sa cause devant son père. Le détenteur du » francs », tel que l’on qualifie au village ces vieux retraités de France.
Elle n’auras pas besoin d’une grande rhétorique pour avoir gain de cause pensa-t-il au fond de lui.

Sa mère n’était nullement surprise, lorsqu’elle a glissé la demande auprès du papa, le connaissant, elle ne s’attendait pas à un sourire, pire encore, il lui a donné du fil à retordre. Restée impuissante devant l’intransigeance de « ce vieux grincheux », elle a préféré obtempérer et reporter cette demande sine die.

Tahar heurta un obstacle assez solide, abattu, mais ne voulant pas fermer cette unique issue. « Qui perd espoir, perd tout » se disait-il souvent.
Par moment de découragement, lui parvint à adopter une attitude d’un résignant tel le vieux renard dans la fable de La Fontaine, quand il voulut prendre les raisins comme repas, mais comme il n’y pouvait atteindre :
«  Ils ne sont pas mûrs… « 

Faut-il baisser les bras ? Non, pour consoler son rejeton, sa mère lui dit : nos aïeux disaient dans le temps : « seule l’autorité de l’état, peut transcender celle de la loi divine », autrement dit ton père pourrait bien changer d’avis.
Sa persévérance a fini par lui donner raison, son père a lâché du lest, il a tout de même posé une petite condition, il voudrait de son aide pour la moisson du mois de juillet.

Le bateau avait jeté l’ancre au port de Vgayeth le 2 Août, la veille du départ. Il resta figé au même endroit jusqu’au lendemain, on aurait dit qu’il l’attendait.

Le « Hoggar », un immense bateau, Il donne l’impression d’un bâtiment construit sur les eaux de la mer, il a frappé son imagination.
Le jour tant attendu arriva, tout est fin prêt pour Tahar. Un  sac  bien scellé entre son linge, les quelques vivres que la maman lui avait préparé? pour éviter toute dépense superflues pendant les 24h de la  traversée et les petits cadeaux pour la famille de l’autre rive de la Méditerranée.

Le passeport et le billet serrés comme dans un étau, il ne s’agissait pas d’égarer un seul document ceci compromettrait tout rêve d’évasion.

L’agent des douanes l’invite à avancer pour l’enregistrement et la vérification des bagages…
Il avait un pincement au cœur, quand l’agent le regarda d’une façon curieuse et après avoir jeté un coup d’œil sur ses documents puis Il l’interrogea:
– Es-tu encore à l’école?


Tahar se demandait à quoi servirait une telle question !!! Tout en évitant une perte de temps il a fini par lâcher un oui. On attendant de savoir quelle débâcle pourrait lui tomber sur la tête !?

L’agent revient à la charge une deuxième fois, cette fois ci d’un air un peu plus sérieux qui frôle le dédain !
– As-tu une exemption ou un sursis du service militaire ??
Le « Non » difficilement prononcé est accompagné de son lot de doute, il a senti une étrange émotion. 
L’agent lui demanda de patienter un moment… il s’en alla avec les papiers à la main consulter le chef de brigade, Tahar le suivit des yeux, priant le ciel et la terre sans qu’un mauvais pressentiment lui eusse traversé l’esprit.


L’agent revient après quelques minutes, il lui annonça d’un ton sec, que son départ était compromis.
Il sentit le ciel lui tomber sur la tête, sa gorge nouée, il essaya de supplier l’agent dans un balbutiement presque étouffé mais en vain…
La décision est prise…

L’agent lui montra la porte de sortie, il est resté figé sur le coup, une rage l’atteint au plus profond de son âme, il avait envie de crier, il avait pensé à tous les efforts qu’il avait consenti pour arriver en bout de ligne, à ce cul de sac !! il pensa à toutes les discussions dont il sera? sujet dans le village, il savait que même les vieilles mémères murmuraient dans les chaumières. Mieux valait-il faire de ce voyage un secret car à bout de force, le rêve restera non réalisé. 


Dehors il vociféra gorge nouée, il conjura tous les saints de Vgayeth tout en fixant les yeux sur Yema Gouraya. Il ne retint de cette aventure seulement les seules paroles consolatrices de sa mère qui disaient que : » seule l’autorité de l’état peut transcender celle de la loi divine ».
Il a promis de revenir l’été prochain.

4ème contribution de Kamel

Une autre idée de l'espoir...

Tahar aborde le chemin du retour à la maison avec un sentiment de frustration doublé de désillusion, la route lui apparaissait longue, le village si lointain. Ce "cuisant échec" face au pouvoir  des autorités qui l'ont empêché de franchir le "cardia" des douanes a pesé lourdement sur son humeur, et il a anéanti son état d'âme. Son angoisse est aussi forte que celle d'un innocent  en instance de jugement pour un crime commis par inadvertance.

-Cette débâcle, va surement faire la une de toutes les assemblées y compris celle des mioches, se disait-il en soi.

N'était-elle pas son appréhension depuis le début?

Une idée saugrenue lui parvint à l'esprit lorsqu'il s'approcha du village:

- Si je me réfugiais au milieu de cette forêt, je n'aurais point à justifier mes tourments et mes déboires, songea t -il.

La forêt étoffant la montagne qui se dresse devant lui, existe au moins depuis le grand Big Bang que l'univers a subi : Adrar U Gherbi, le nom qu'elle  porte depuis la nuit des temps, sans qu'elle ne soit importunée.

De loin elle donne l'impression d'un rempart éludant tout danger susceptible de nuire à ses "protégés". Persuadé de trouver un cachot, Tahar imagine déjà son abri de fortune.

-  Les aléas de la  nature feront changer mon humeur altérée, continua t-il à penser, sans toutefois adressé un mot au taxi qui l'y conduisit.

Autrefois seuls quelques personnes se sont laissés conduire par leur curiosité, arrivèrent au sommet de cette montagne qui  fut la fenêtre qui dévoila aux gens n'ayant jamais vu plus loin que le "nombril" de leur village, l'existence d'autres espaces aussi vastes que les océans.

 Tahar connaissait l'histoire de ce berger, fut-il le premier à atteindre le sommet. N'en croyant pas ses yeux, quand pour la toute première fois de sa vie la vallée de la soummam s'offrait à son regard ébahi, et avant de partir, une expression lui échappa et que la mémoire collective avait sauvegardé: " Ô seigneur que ton monde est vaste".

N'est-il pas l'endroit idéal pour une évasion,  loin des regards jusqu'à ce que cette vague d'angoisse qui le submerge annoncera son abdication?

Mais ce n'est qu'une alternative débile,   l'entreprendre est du domaine  de la folie.

Qu'à cela ne tienne, il s'était résigné à rentrer chez lui.

L'entrée du village  semble frappée par le "syndrome de Tchernobyl" en cette période caniculaire, les quartiers sont vides, seul le chant des cigales venait perturber ce silence quasi total, même les chats errants restaient tapis à l'ombre en ces heures de la journée. C'est le quotidien des âmes qui y vivent. Et tant mieux. La seule personne osant défier la chaleur torride et ceci par obligation c'est Akli son ami,  le tenancier de l'épicerie.  Fermer boutique pour lui est un crime de lèse majesté! Il résiste à cet étouffement, sans se départir  de ses journaux et de son tapis en arrière boutique: des petites siestes intermittentes s'imposent quand la clientèle  faisait défaut.

Tahar était plus que soulagé, il est délivré d'une étape tant redoutée, celle de croiser du monde et répondre à leur curiosité.

Il voulait rentrer en catimini.

La  placette  du village "Taburt W Ahfir", est la plus redoutable à franchir pour retrouver sa mère qui l'épargnerait de tout jugement, et avec qui il trouverait consolation.

Cet endroit aux multiples facettes, se métamorphose au gré  des besoins de son monde. Ici se croisent enfants et adultes, on y joue souvent,   les vieux échanges des bribes en attendant  la prochaine prière, et y accueille par hospitalité des étrangers voulant une pause durant leurs périples.

Taburt w ahfir1

Tavourt wahfir : place centrale et historique  du village comportant la maison de l'invité (Akham inevgui R'bbi) est aujourd'hui déserte!

 

Dès la fin de l'après midi, l'arrivé du "vent  marin", le nom de cette fraîcheur de fin de journée, que prononcent élégamment les personnes âgées, les gens se ruent impétueusement vers cet endroit, comme des affluents qui se jettent sur la rivière principale après de grosses averses. Mais à cette heure ci de la journée, le vide est effrayant.

Cloîtré chez lui,  songeant  à rester enfermé jusqu'au retour des classes pour mettre les pieds dehors. Tahar s'auto inflige un pénible embargo, très pesant.  Existe t- Il une autre alternative?.

Akli sachant  que Tahar,  resterait confiné  à la maison suite à cette triste mésaventure, n'a même pas osé penser lui rendre visite, ni aucune idée n'a effleuré son esprit du comment renouer contact avec lui, il a senti même une certaine culpabilité sans savoir la raison! "Frapper le fer tant qu'il est chaud" n'est  pas applicable en un tel cas!  Il a préféré de temporiser.

Hachemi, connu de tous, comme l'agent de la poste par excellence, on dirait que le sceau d'assermentation des documents le suit partout.

Il passa chez Akli pour quelques emplettes. Un petit échange de mots entre les deux est incontournable. Lui qui aime la chose politique et Akli qui répond aux normes d'une chaine de  nouvelles en continue, de fil en aiguille amène l'agent de la poste à soulever un problème de la distribution du courrier qui pourrait survenir pour le mois de congé de son facteur.

-Il lui faudra un remplaçant lui balança Hachemi.

- j'espère qu’on n’en retourne pas à l'ancien système de distribution de courrier, rétorqua Akli.

Cela fait juste une année depuis que le facteur à vu son apparition dans le décor du village. Auparavant le courrier était totalement déposé sur un coin du comptoir qui accueille les clients à l'épicerie d'Akli.  Les destinataires viennent fouiller à leur tours pour dénicher leurs plis, les retraités sont souvent fidèles à des journées bien précises, attendant l'arrivé de leur mandats. Certains d'une patience discutable font un passage plusieurs fois et plusieurs jours à l'avance.

Akli se ressaisi et une idée soudaine lui vint à l'esprit !, comment n'aurais-je pas pensé de proposer à l'agent de la poste mon Ami Tahar comme remplaçant au facteur?. Serait-elle  une occasion de le faire sortir de sa tanière pour renouer avec la vie normale? Probablement oui, soutenant sa réflexion.

On n’en compte pas par milliers des aubaines comme celle-ci. Dieu seul sait qu'il en a besoin et elle l'enchantera certainement.

Le samedi 11 Août tôt le matin Tahar se pointe devant la poste attendant l'arrivée  de Hachemi qui lui donnera une petite formation et toutes les directives liées à son travail. Ce job lui a remonté le moral, étoffé son estime de soi, et son rêve de voyager refait surface tout  à coup! Son hibernation en plein été n'aura duré que quelques jours finalement.

Son ami Akli était pour beaucoup de choses,  il lui voue de la considération et de l'estime, ce geste n'avait fait que consolider un peu plus leur amitié déjà bien bâtie.

Tahar, dans sa tenue de Facteur, ne manquait pas d'attirer les regards sur lui, il est vrai que c'est un beau jeune homme doté d'un physique agréable assorti de cette taille d'athlète en herbe. Son couvre chef, ne cachant pas totalement sa chevelure venait rajouter une touche de charisme à ce  visage légèrement bronzé,

 orné d'un nez fin, d’une bouche parfaitement dessinée, ses yeux sont d'un vert noisette reflétant sa nature calme et réfléchie. Sa sacoche en bandoulière était à la juste mesure, ni trop haute ni trop basse. Il honorait en somme cette noble fonction.

Quelques jours auparavant Tahar fuyait le regard des autres, aujourd'hui il s'ouvre à eux avec enthousiasme ayant banni tout complexe. Il a conclu subitement que dans la vie quoiqu'on soit calculateur,  le hasard a  tous les pouvoirs de nous faire faire des embardées voire même de nous dévier de notre trajectoire.

La navette qui consistait à desservir trois villages de la commune se faisait à pieds, se trouvant sur une même ligne en contrebas, Aghbala- Timeghras_Tighzert, ce qui occasionnait une certaine pénibilité quant au retour. Il n'était pas rare qu'une pause soit observée à mi chemin.

Le tri du courrier était sa corvée matinale, avant de commencer à "déambuler" avec sa sacoche.

Petit à petit, une routine semble prendre place et un bonheur renaissant égaye ces journées....

Du courrier en masse  ces jours ci lui a fait remarquer son patron,  les immigrés sont venus nombreux en vacances cette année, ils  ne partiront qu'à partir du début septembre, lui a t-il rajouté en guise d'explication.

Un jour pendant qu'il faisait son tri, Tahar tombe sur un pli assez gros pour être différent de ceux de tous les jours. Il demanda à Hachemi:

- La livraison de ce "bidule" serait-elle différente de celle des autres?

- Il lui a expliqué que c'était un colis recommandé, qu'il faudra faire signer le destinataire sur un carnet dédié à cet effet.

Tahar n'avait aucun doute pour frapper à la porte no B56 à Tighzert, tel que mentionné sur la boite. D'une façon timide il attendit devant le seuil  de celle-ci  sans connaître le visage de Bachir M,  le destinataire qu'il allait découvrir.

Tahar  était surpris, et d'un geste subit recule de deux pas en arrière, lorsqu'une charmante jeune fille au cheveux longs et lisses,  entrouvrit la porte, un sourire  montrant ses dents blanches aussi alignées que des perles sur un collier.

Dans une gêne presque perceptible il cherchait le premier mot avec lequel il allait l'aborder mais en vain. Il fixa à nouveau, son visage à la peau naturellement lisse et probablement très douce, et ses joues rebondies mettant en valeur son  petit nez retroussé.

Un mélange d'émotions l'atteignit, il est partagé entre sa timidité et l'envie d'admirer cette beauté bénie  par Aphrodite.

Il est hypnotisé, à tel enseigne qu'il ne se souvient même pas par quelle étape fallait-il commencer sa livraison ou tout du moins lui proférer quelque chose d'intelligent, Il tremble, ses cordes vocales semblent frappés d'une paresse certaine. Seules ses joues et son front rouges presque écarlates démontraient  son état d'un être encore en vie. 

Ce mini malaise à duré un petit moment puis il se ressaisi et reprend ses esprit:

- vous vous appelez comment, demanda t-il à la fille et son  visage projetait  toujours cette couleur vive.

- Zahia, lui répond -elle avec un sourire illuminé à foudroyer le dernier des cœurs résistant.

Sa main tremblante et  difficilement contrôlable arrive tant bien que mal à inscrire le nom de Zahia sur le registre.

Zahia avait repéré l'état émotionnel dans lequel était plongé son interlocuteur et du coup elle fut gagnée d'une certaine empathie envers lui. Elle a décidé d'engager une discussion.

Tantôt elle parle en français  tantôt elle agrémente son français avec des mots en kabyle.  Le charme de ce métissage révèle  toute la splendeur que cache sa voix. Une voix presque mélodieuse, conçue pour percer les entrailles des âmes récalcitrantes. Ce n'est que de l'huile sur le feu qui se rajoute sur un brasier déjà bien propagé dans le fond de Tahar. Son égarement était total!

Pendant  que Zahia apposait délicatement sa signature sur le document, lui continue  de scruter le moindre détail entourant cette fille.

Il  remarqua sa robe kabyle soigneusement brodée mettant en évidence une silhouette bien entretenue,  que seule une force divine aurait le pouvoir de dessiner.

Elle remit à Tahar le registre

Il lui tend le paquet à son tour.

Sur le point de se séparer, leurs yeux se sont croisés pour un au revoir ressemblant à  un adieu.

Zahia s'apprêtait à fermer la porte derrière elle, et avant de le quitter, elle lui demanda son nom.

-Je m'appelle Tahar balbutia t-il d'un ton mêlé de stupéfaction et de gêne.

-Je suis contente de te parler lui rétorqua t-elle avec un dernier sourire de bonne facture.

Ce sourire  équivaut paradoxalement à un uppercut qui met "KO" un boxeur mal  préparé au combat,  le désintègre au premier round et  le ring ne pouvait plus le contenir.

Quelques pas en avant, il tenta un dernier regard  sur Zahia, en retournant subtilement la tête, celle ci le suivit encore d'un regard qui en dit long.

Il quitte cette maison avec un air, le moins que l'on puisse dire, très abattu.

 il n'avait rien compris  à cette transformation intrinsèque et à cet état dans lequel était plongé.  Peu importe, mais dès ce moment il sentit une sorte d'euphorie indescriptible l'envahir soudainement, qui le ramena à ne point regretter d'avoir abandonné l'idée de rester à l'écart du monde extérieur.

L'envie de retourner une dernière fois pour taper à la porte et de voir Zahia pour une toute petite seconde, ronge son désir. Sous quel prétexte? il n'en sait rien, partir dans cet état, est un enfer certain.

Mais il n'a pas trop le choix, il devait continuer son travail.

Une fin de journée  des plus  bouleversantes  pour Tahar, ne sachant quoi faire après cette extraordinaire émotion. Le  désire de rester à Tighzert et déambuler dans les petites ruelles de ce village dans l'espoir que l'ombre de Zahia surgirait quelque part avait effleuré son esprit.

Quelque chose  s'est transformé en lui ce jour là et a donné une signification à sa vie.

Il s'est empressé de déposer sa sacoche et de rejoindre son ami Akli qui répond toujours à l'appel, et démène toutes ses interrogations.

- j'ai quelque chose  à te raconter balança t-il à son ami devant le seuil de la porte de son épicerie.

 Cet après-midi, Akli fait exception, ferme son épicerie pour faire quelques pas avec son ami le long d'une piste agricole établie récemment par la commune sur le versant droit du village.

S'il devait déballer tout le contenu de son cœur, ça ne serait que dans cet endroit idéal, mais pour une fois il avait envie de crier ce bonheur naissant au monde entier à qui l'entendra.

Le lendemain matin, ouvre son registre pour commencer sa journée, une inscription au côté de la signature de Zahia apparaît:  36 Rue des Braves, 42520 St-Etienne.

4ème contribution de Kamel

Le premier jour du printemps

(As u menzu n tafsut)

 

La place principale d'Aghbala,  appelée communément "Inurar", offrit aux regards  une scène presque amusante en cette journée d'hiver tirant à sa fin. Les travailleurs et ceux qui ont pris tôt le matin le chemin des villes pour faire leurs emplettes, s'apprêtaient à descendre  de leurs transports, les mains  garnis de bouquets de racines de Thapsia  ( Adryis), dissimulés dans des sacs.

Fortement imprégnés du goût de l'amusement sans cesse et de surcroît avec un sens aiguisé  d'interprétation,  nous devinâmes aisément l'événement qui collerait à cette scène. Le souhait que le lendemain arrive avec une extrême promptitude gagna nos esprits.

Cette journée  réservée à "l'accueil du printemps"  (As U magger n tafsut) prend une allure d'une sortie spéciale et coutumière à chaque premier jour du printemps afin d’inaugurer une saison porteuse de tout les marques de bonheur.

Les feuilles de cette plantes que nous apercevons à travers les sacs de leurs  porteurs, poussent notre imagination à l'oeuvre. D'emblée nous esquissâmes le trajet  sinueux à parcourir avec ses haltes  et les moments agréables que la belle nature semble bien vouloir nous offrir.

Nous imaginâmes  les sons mélodieux que les femmes auront à "gazouiller" gracieusement sous un  soleil au rayons ornant les visages d'une gaieté que seul dieu "Rae" aurait la clé de son mystère.

Ce soir là, les mamans  s’affaireraient  volontiers à préparer avec amour, le couscous au racines de Thapsia ( Seksu U deryis) , le plat qui représente la signature exclusive de cette occasion. Sur qui couscousière et chaudron se constituent en une synergie œuvrant jusqu'à l'extinction des feux de la cuisine.

Les oeufs plongés dans l'eau bouillante avec les racines U Deryis nous mettaient déjà l'eau à la bouche à l'idée de partager dans la convivialité ce précieux met.

 Tout le monde s'accorde à dire que ces racines sont  vénéneuses,  quelques signes cliniques donnaient l'alerte à chaque fois que l'on affiche une grande gourmandise, la retenue est de mise en dépit du caractère savoureux du plat.

Tôt le matin nos paniers sont soigneusement préparés et truffés de toutes sortes de gâteries (Oeufs préparés la veille, friandises, morceaux de pain...etc). Un picnic est souvent prévu aux abords de certains endroits et c'est ce que l'on attendait le plus.

La "procession" prend son départ tel un défilé où femmes, enfants, jeune filles et jeunes garçons se suivent sur un même trajet et en petits groupes, d'autres affluèrent au fur et à mesure que nous avançons.

Trois ou quatre femmes "vétéranes", à qui revient le rôle d’animer la foule, usent de leur dextérité à manipuler le  Bendir (avendir)  qui raisonne au rythmes des mélodies que ces femmes fusent en sorte de rengaine.  Elles sont la locomotive qui tire vers l'avant tout le reste de la caravane, qui à son tour reprend les chants en chœur.

Les mausolées  connaîtront ce jour là un afflux important et inhabituel de personnes. Le vide qui les entoure durant toute l'année se voit comblé tout à coup.

 Le premier  qui nous ouvre ses portes, "Sidi Sa3di W Cherif”.  Monument construit depuis des lustres, garde jalousement le tombeaux du saint qui porte son nom, en dépit de son  état déplorable et le poids des années, son charisme reste indemne de toutes éraflures. Nous faisions le tour du tombeau,  sans omettre d'essuyer, le visage avec le long tissus qui le couvre.  j'avais tout le temps cette curiosité de connaître  les tenants et les aboutissants de ce geste un peu bizzare mais j'y adhère  pensant que c'est un péché capital que de demander une explication.

Les bougies sont allumées et le mausolée en profitera d'une journée tout en lumière. Convaincus de la sacralité du lieu certains feront leurs prières.

Le tronçon qui mène au deuxième lieu de notre périple: el Djama3 w esker,est bordé des deux côtés par quelques champs parsemés de fleurs aux couleurs agréables,  la jonquille (Adjedjiy ireli), cette plante précoce aux fleurs jaunes,  est sans doute la plus séduisante, tout le monde s'adonnait à la chasse de ses tiges remplissant les mains.

Le genet et le ....(Azezu ak d u tertaq)prennent également la même couleur et les marguerites s'insèrent au milieu avec leur fleurs blanches pour achever ce tableau sublime.

le constat est sans conteste le prélude d'un printemps bien installé.

La joie est perceptible sur le visage de tout un chacun, la léthargie dont les sens étaient plongés  tout au long de l'hiver semble s'épanouir tout à coup sous les rayons d'un soleil peu agressif. La vitalité est très prononcée sur les adolescents qui s'adonnent  à un jeux  de charme, en est la preuve et combien significatif!

On s'arrête et on arrête le temps pour apprécier et cueillir ce que la nature

nous présente généreusement.

El Djama3 w esker", mausolé couvrant une roche mystérieuse, puisque personne n'a connaissance de sa véritable  histoire, mis à part quelques petites histoires par ci par là,  a su garder ce côté mystique qu'on ne pouvait dissocier d'une probable action à caractère de sainteté.  Son aura ne supplie point pour afficher un grand respect des lieux. Nous déposons les bougies aux différents coins de la roche dans un calme et une discipline de troupier. Ne pas déranger les saints c'est aussi ne pas  perdre leur protection.

 Pendant que certains adultes continuent leur méditation à l'intérieur les petits et les jeunes  profitent de "gambader"  dans les champs aux alentours.

La caravane suit fougueusement sa marche vers "Sidi el mouhoub", au rythme des chants, jusqu'à la porte de la source où jaillit une eau qui coule avec un débit interminable. Chacun s'empresse de  tremper ses pieds,  pour avoir de la "baraka" puis faire un vœux en jetant une petite pièces, les femmes passent outre la porte qui  renferme la source pour  jeter un peu d'eau purificateur sur leurs corps.

Sans ce passage qui fut une étape de purification, la sortie ressemblerait à un pèlerinage raté.

Nous attendions l'ultime étapes avec impatience,  celle qui nous amène à  "Djama3 w Ezro", perché sur une hauteur, dominant et le village et ses saints, offrant une vue splendide qui met en exergue la beauté de chaque coin visible à l'oeil.  Nous forcions le pas pour y arriver, le chemin arpenté est une pente,  mais agréable à entreprendre. Après la visite des lieux et le rituel des bougies,  déballer nos paniers était notre seul souhait. Si nous avions une préférence, nous entamerions le contenu de  nos paniers bien avant l'heure, car nos papilles gustatif étaient déjà trop stimulées.

 Quoi de mieux que de manger en plein air et faire une démonstration de plus que notre instinct est en totale symbiose avec la nature .

Le milieu de la journée  confirme le point équinoxial du printemps, nous  atteignâmes  le summum d'une euphorie que nous voudrions éternelle.

Des bouquets de toutes sortes de fleurs sont cueillis tout au long du chemin du retour à la maison et portés  ostensiblement à la main,  marque la  fin d'une belle journée tout en couleur...

Cette célébration est finalement un  témoin éloquent du bon ménage entre deux côtés supposément opposés: le côté spirituel et le côté festif, mais l'attachement des gens aux respect des valeurs et à la vie conviviale  parviennent à nouer ces deux aspect pour donner à ce moment un cachet bien spécial.

Kamel Ouidir

5ème contribution de Kamel

Hommage à Nna ourida

Des femmes et des hommes de valeurs, ont laissé leurs empreintes bien ancrées dans la vie de notre village. qui à son tour  n'est  pas prêt à les oublier et avec raison. Leurs actions d'entraides, leurs sages paroles caractérisées par des faits concrets  ou  leurs humours qui sèment de la joie dans les cœurs des gens, en sont des témoins de leur générosité débordante ...

Ma pensée va vers une femme qui me tient à cœur,  une femme que l'on peut aisément qualifier d'une femme d'exception. Elle a fait preuve de beaucoup de courage alors qu'elle était veuve très jeune,  elle se trouvait devant le devoir  de nourrir ses enfants  et à se sacrifier pour leur éducation  par-dessus tout , chose qu'elle a réalisé dignement.

Il s'agit  de Nna "Ourida Tamoussatt"   comme on l'appelle affectueusement, cette femme au talent incroyable de sage-femme, ceux et celles qui se souviennent de ses gestes à l'égard de la communauté auront sûrement quelques traces restées indélébiles dans leurs mémoires.

Combien de femmes ont eu recours à son "service".  Aider à mettre au monde un enfant était pour elle l'action dont elle ne lésine aucun  effort pour répondre aux sollicitations quasi quotidiennes, elle le faisait à cœur joie.

Beaucoup d'enfants de différentes générations sont arrivés à ce monde  entre ses mains. Des mains magiques et  d'une grande délicatesse. On aurait facilement dit qu'elle est sortie de l'une des plus grandes écoles d'infirmières, les bébés avaient droit à toutes les mesures de soins destinés aux nouveaux nés.. du cordon ombilical jusqu'au massage avec des produits naturels.

Nna Ourida  n'a jamais refusé de venir en aide quel que soient les conditions: au milieu de la nuit ou en plein froid glacial, et pourtant elle n'a jamais connu "le serment d'Hippocrate". Son dévouement  pour la communauté est sans égal.

Sa présence, mettait beaucoup de monde en assurance à l'époque où pour se rendre en ville pour voir  un médecin était un véritable calvaire.

À chaque fois que je lui rend visite, elle m'accueille avec cette affection qui me fait penser à l'accueil qu'elle réserve à un bébé tout juste débarquer de l'utérus de sa maman.

La voici avec ma mère en pleine discussion, toutes les deux âgées et amoindries de leurs forces mais combien restées humbles et pleines de sagesse :

http://www.aghbalaetsesamis.org/videos/les-gens-du-village/na-ourida-et-na-taous.html

Longue vie et beaucoup de santé à cette généreuse  femme  qui a donné beaucoup à sa communauté.

Kamel Ouidir

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